Qui veut tuer le soldat Ryan ?
Dans le microcosme viticole français il y a des jours où vous ne pouvez que penser qu’il y a un ou plusieurs de vos voisins et confrères qui ne vous veulent pas forcément que du bien. On en parle souvent entre nous, la nouvelle réforme des Appellations d’Origine devait avoir pour but d’améliorer un système plutôt brinqueballant. Comment peut on être juge et partie ? La profession dans son ensemble s’est dotée d’une arme de neutralisation parfaite pour les acteurs de la médiocrité ambiante, afin qu’aucune vague ne vienne éclabousser les chaussures de chacun ! Je ferme ma gueule si tu n’ouvres pas trop la tienne… Aujourd’hui pour avoir la chance de revendiquer une AOP (Appellation d’Origine Protégée), tes voisins jugent ton boulot, tes vins, et gare à toi si tu déranges. Preuve est faite une fois de plus que tout cela est vraiment un grand n’importe quoi !
Il y a dix jours de cela j’ai donc reçu mon rapport d’inspection N°INS 11/72 concernant la dégustation de ma Cuvée l’Hurluberlu 2010 mis en bouteille quelques jours auparavant. Les membres du jury de dégustation ont donc noté mon comme suit :
Inacceptable, graves défauts : oxydé, mauvais goût, insuffisant Niveau 5
D’un premier abord on se dit que là vue que l’échelle des niveaux va de 0 à 5, on ne peut pas mieux faire (dans le mauvais sens bien sur, car 0 est le signe de la perfection viticole moderne et 5 bien sur, tout son contraire !), et que l’affaire ne doit pas être si grave puisque le résultat est arrivé par la poste en lettre normale. Une chance pour moi que la poste bosse bien par chez nous, car un peu plus je n’aurai même pas été averti sinon. Passons, donc 5, je pense que pour moi c’est le chiffre de la semaine (faut que je joue au loto, il me manque quelques chiffres mais c’est un bon début). 5 disais-je et bien tout simplement c’est aux vues des journées de formations obligatoires que j’avais reçue le déclassement voire la destruction du vin. Et ouais, faire ce qui ressemblerai à du vinaigre n’est pas chose aisée de nos jours, il y a en plus un cahier des charges. Donc oublions pour l’instant la destruction car après appel téléphonique à l’INAO, petit un, on n’a jamais vu ça ici (des 1 des 2 voire peut être une fois un 3 d’accord, mais si haut (5) en première instance comme qui dirait, vaut mieux avoir une grosse cheminée afin de pouvoir y marquer une bonne grosse croix bien visible car ça n’arrive pas tous les ans), et petit deux « vous savez Monsieur DAVID il vous reste le déclassement en vin de France… ».Là évidemment, la moutarde me monte vite au nez, évidemment que j’ai d’ores et déjà souvent plus de respects pour les vignerons qui font des vins de table avec des cahiers des charges internes qui sont d’une autre mouture que celle de notre ODG (organisme de gestion). Pour tout vous dire la réflexion a été longue, il est temps de mettre un coup de pied dans cette fourmilière et de rendre aux vignerons (les personnes qui veulent respecter leur terroir, leur famille et leurs compatriotes) les rênes de nos appellations. Comment en désherbant tous azimuts des sols filtrants en pleine période de pluies, en faisant pisser les vignes, en vinifiant avec des levures exogènes sélectionnées, en matraquant les vins de dizaines d’intrants (qui ont comme racine alimentaire E…) on peut se targuer de respecter son terroirs et ses clients ?
La coupe est pleine, je ne suis pas procédurier mais quand il faut, il faut !
Première étape donc, séance de brainstorming avec mon avocat. La procédure, toujours la procédure : vérification du bon déroulement de la première dégustation. Quid, ha oui j’ai oublié de vous dire que qui dit 5, dit pas de procédure contradictoire, et oui fallait pas jouer à la roulette russe « Monsieur DAVID, vous avez droit à une seconde dégustation quand nous le souhaiterons avec l’échantillon témoin et surement les mêmes personnes afin d’entériner le niveau de gravité. Faut pas rêver Monsieur DAVID, ce n’est pas une remise en question de notre part mais juste une vérification organoleptique de notre jugement initial, ce n’est pas de notre faute si votre vin (jusqu’ici c’est encore du vin dieu merci) n’est pas acceptable ». Bas ouais, je suis idiot ou quoi, qui pourrait bien croire à mal. Dorénavant, de toutes façons et pendant un an, avant de bouger le petit doigt vous êtes en période probatoire. Je ne supporte déjà pas les montres à mon bras, va presque falloir que je porte un bracelet électronique qui épiera tous mes gestes. Il manquerait plus que je sois obligé de prévenir avant de toute action viticole et vinicole que je souhaite faire. Encore une chance que je sois assez peu interventionniste en cave car avec tout ça je ne vous raconte pas le brassage de papiers et la dépense d’énergie engendrée. Et le plus beau c’est que tout cela est à ma charge bien sûr, 65,00€ chaque opération. De toutes façons je n’ai pas le choix.
Deuxième étape, fédérer cette frange du monde viticole qui souhaite que cela cesse. Plein le c… que des viticulteurs nous embêtent (pour rester poli) avec des refus d’agrément quotidien. Pour ceux qui suivent les blogs vignerons, non, non vous ne rêvez pas, le problème de tout cela ce sont bien les marginaux, ces personnes qui proposent des offs aux salons des vins professionnels. Dernier article lu, un vigneron de l’appellation voisine, qui se plaint que les offs profitent de l’argent que les comités interprofessionnels mettent dans les campagnes de pub pour les salons et qui détournent donc la notoriété de tels événements afin d’attirer un publique de plus en plus nombreux vers leurs propres dégustations. A noter que ce vigneron, ancien président du comité d’inspection (ha, ha comme c’est drôle) oublie de dire que son appellation à choisit de sortir du giron de notre interprofession et profite quand même de la publicité d’Interloire pour participer au salon sans payer un kopeck de publicité ! Ho que cela est vilain…
En introduction je parlai d’AOP, avec comme signe distinctif que P = protégée. C’est bien une notion de protectionnisme qu’il va falloir éradiquer, car si aujourd’hui 1 agriculteur se suicide chaque jour, si 3 agriculteurs mettent la clef sous la porte journalièrement, combien sont exaspérés par cette démagogie ambiante, cette odeur de suspicion nauséabonde continuelle. En agriculture, il a été souvent remarqué que celui qui haussait la voix le plus fort avait toujours raison. Qu’est ce qui peut bien se passer dans la tête des gens pour que plus rien ne les faces réagir ? Faut-il que de nos jours casser du sucre sur le dos de ses collègues soit un objectif ? Dans ce cas, on ne parlera pas de révolution mais plutôt de résistance, la lutte semble longue et difficile mais n’y a t’il que l’espoir qui puisse faire tourner le monde, mon monde en tous cas.